(Alexandre D’Astous)-Le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) s’inquiète du projet de loi 22 sur l’expropriation, à l’étude à l’Assemblée nationale à partir du 14 septembre.
En l’état, ce projet de loi ne répond ni aux problématiques actuelles entourant l’expropriation déguisée, ni à la question des indemnisations. Plutôt que d’aider les municipalités, il risque au contraire de leur nuire, voire d’augmenter le risque de poursuites judiciaires. C’est pourquoi le CQDE rappellera dans son mémoire et en consultation particulière l’importance d’une plus grande prévisibilité juridique, d’un encadrement des indemnisations prenant en compte l’intérêt collectif, et de donner au projet de loi une portée rétroactive pour soutenir les efforts de conservation des municipalités.
Une imprévisibilité paralysante pour la transition écologique
À l’heure actuelle, l’absence de balises légales claires pour définir la notion d’expropriation déguisée engendre une grande imprévisibilité juridique. Cette incertitude encourage le dépôt de nombreuses poursuites judiciaires, alimentant une situation déjà explosive en milieu municipal, tout particulièrement en matière de conservation. Les poursuites toujours plus nombreuses visant les municipalités sont aujourd’hui estimées minimalement à un milliard de dollars de fonds publics en demande d’indemnisation. Le CQDE déplore que le projet de loi 22 ne réponde pas à cet enjeu central en passant complètement sous silence l’urgence de se doter de balises légales claires.
« L’imprévisibilité de l’expropriation déguisée a un effet particulièrement grave pour les municipalités et paralyse leurs efforts de conservation », explique Me Merlin Voghel, avocat au CQDE. « Au lieu de répondre au cri d’alarme des municipalités et des citoyens, le projet de loi 22, dans sa forme actuelle, constitue un recul majeur pour la conservation des milieux naturels et accentue le risque de poursuites judiciaires.», ajoute-t-il.
Indemnisation : un déséquilibre entre l’intérêt individuel et collectif
La version actuelle du projet de loi 22 induit aussi un important déséquilibre entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif sur la question des indemnisations. En plus des nombreuses poursuites, les collectivités sont à risque d’être contraintes d’indemniser la perte de profits futurs en raison des interprétations judiciaires récentes du critère d’indemnisation qu’est « l’usage le meilleur et le plus profitable » (UMEPP). En tentant de limiter la portée de l’UMEPP, Le projet de loi 22 a plutôt pour effet d’alimenter la possibilité d’évaluer sa valeur selon l’usage qui pourrait être fait d’un terrain dans le futur, selon des critères imprévisibles. Il ne limite pas avec suffisamment de clarté l’évaluation à une valeur possible dans le contexte légal existant avant l’expropriation.
« À l’heure actuelle, le projet de loi n’écarte pas suffisamment le risque d’avoir à indemniser des projections sur trois ans. Ainsi, un promoteur possédant un terrain non développé pourrait être indemnisé, par des fonds publics, pour un usage qui ne s’est pas encore réalisé, comme du lotissement, et dont la probabilité de réalisation repose sur des critères vagues et imprévisibles. Ce genre d’approche alimente déjà de nombreux débats judiciaires et doit absolument être réformé », précise Me Voghel.
Un exemple à Rosemère
À titre d’exemple, la ville de Rosemère est poursuivie à hauteur de 278 millions de dollars par un terrain de golf acquis au coût de 18 millions, sur lequel est prévue la construction de 3000 logements. Le budget annuel de cette municipalité est de 37 millions. « Il s’agit d’un exemple de risque de transfert massif de fonds publics vers des fonds privés qui repose justement sur l’imprévisibilité juridique en matière d’expropriation déguisée et d’indemnisation », ajoute Me Voghel.
Bien que l’Assemblée nationale dispose toujours d’un pouvoir d’exproprier sans indemniser, le CQDE recommande une approche nuancée fondée sur l’évaluation municipale qui reflète l’équilibre nécessaire entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif en matière d’indemnisation.
Une absence complète de réponse pour les recours judiciaires déjà existants
Le CQDE dénonce l’absence de rétroactivité du projet de loi 22, alors que l’Assemblée nationale dispose du plein pouvoir d’agir sur les recours pendants. Le projet de loi écarte ainsi tous les appels à l’aide des municipalités. Celles-ci sont pourtant poursuivies en raison de leur tentative de s’acquitter du rôle que leur confie le gouvernement lui-même en matière de conservation. Pire encore, le projet de loi 22 prévoit un délai de grâce de 6 mois à compter de sa sanction pour entreprendre un recours judiciaire en vertu de l’ancien régime légal, imprévisible et davantage favorable aux investisseurs et aux promoteurs.
« Plutôt que d’aider les municipalités, le délai de grâce de 6 mois prévu au projet de loi risque de déclencher une course contre la montre pour les personnes qui souhaitent se prévaloir d’un régime plus favorable, au détriment de l’environnement et des collectivités. Le gouvernement doit faire preuve de leadership, remédier à la situation et réellement répondre aux problématiques déjà existantes, sans délai », expose Me Voghel.
Il est essentiel que le projet de loi replace l’environnement et l’intérêt collectif au cœur des préoccupations en matière de conservation, de protection de l’environnement et de lutte contre les changements climatiques. C’est le message que le CQDE portera dans son mémoire déposé dans le cadre de l’étude du projet de loi et lors des consultations particulières qui se dérouleront du 14 au 21 septembre 2023 à l’Assemblée nationale.