Le 29 juillet dernier, aux abords du Saint-Laurent qui se faisait nappe d’huile, le soleil rosissait le ciel et le décor était féérique, comme ces soirs d’été qui allument des lucioles. Il faisait chaud, même au bord du fleuve.
Pendant ce temps, une jeune artiste présentait, au vieux presbytère de Sainte-Flavie, une exposition rendant hommage au Saint-Laurent et à sa biodiversité : « Hommage à Magtogoek » qui regroupe près de 30 œuvres de l’artiste Caroline Jacques. Ces œuvres expriment la beauté d’une nature qui, depuis nombre d’années, voit sa capacité de résilience s’étioler sous la pression du mode de vie des humains.
L’artiste peint des animaux, mais son art va au-delà de la représentation : la gestuelle, les éclaboussures, les taches, les coups de pinceaux vifs, ainsi que le regard des créatures qui soutient le nôtre, nous font réaliser l’urgence de la situation. Les titres participent à cette dynamique. Pensons à « L’oursE qui a mal à sa mère, qui a mal à la terre » ou « Oculus Megaptera, l’œil qui voit toutes les frasques de l’homme » qui nous permettent de comprendre les enjeux illustrés.
L’artiste sonne l’alarme. Le seul moyen qu’elle a trouvé pour rester dans l’énergie positive, tout en tentant d’éveiller les consciences, de montrer le beau, la vie de ces bêtes qui ont tout autant le droit de vivre en paix, d’être respectées, que l’humanité. Caroline adhère à la pensée que la terre ne nous appartient pas, que nous partageons un territoire qui nous a été prêté. Nous le partageons avec des milliers d’espèces vivantes de la faune et de la flore.
Respect pour toutes les formes de vie
Pourtant, elle a l’impression que nombre d’humains ne réalisent pas ce qui se passe; pire, que les gouvernements et surtout les entreprises n’en font qu’à leur tête, se fichant bien des droits et du respect que méritent toutes les formes de vie. (…) Jadis, les baleines se réunissaient par milliers dans le Saint-Laurent. De nos jours, on en fait facilement le décompte. Les baleines ont même des noms, on les reconnaît quand elles arrivent… 3, 6 baleines à bosse, 4 rorquals commun, wow ! On est bien content. Que dire des bélugas, cette grande famille isolée qui compte moins de 1 000 individus dans le Saint-Laurent. Et pourtant, en ce 29 juillet, alors que dans ce centre d’art qui regarde le soleil se coucher sur le fleuve, on parle de baleines, de protection des espèces et d’hommage à Magtogoek, le grand chemin qui marche ; alors que Caroline attend sa fidèle comparse scientifique, Lyne Morissette qui devait être présente, elle apprend que celle-ci ne pourra venir, parce qu’elle a été appelée par le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins.
Cette journée-là, devant l’exposition, aux pieds du quai de Sainte-Flavie, un bébé béluga se bat pour sa survie alors qu’il est retrouvé échoué vivant sur la rive. Après avoir été remis à la mer, on constate son décès, au quai, quelques heures plus tard. Voilà pourquoi Lyne n’était pas à l’exposition : elle devait arrimer la carcasse du jeune au quai, afin qu’il soit transporté à la faculté de médecine vétérinaire de l’UdM pour nécropsie. (…)
Que dire de plus… Je vous raconte cette histoire que j’ai vécue à la troisième personne. J’ai été témoin tout en faisant partie de cette histoire. Je la trouve tellement incroyable, presqu’irréelle. Lutter si fort, peindre tant, écrire, espérer le changement qui n’arrive pas. Puis, là, devant le quai, à quelques mètres de mon exposition, cet être tout neuf, cet être que j’aime, que je considère, cet être porteur d’espoir qui aurait pu assurer la survie de l’espèce, vient nous livrer un grand message.
J’espère que tout le monde saura se taire un instant, pour entendre le langage du silence, celui des animaux.
Caroline Jacques