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Inquiétude face au projet de port pétrolier à Cacouna

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(M.J.) Sur les deux rives du Saint-Laurent, le projet d’un port pétrolier à Cacouna soulève des interrogations autant de la part des scientifiques, des groupes environnementaux, que des élus.
TransCanada prévoit exporter par oléoduc, dès 2018, 1,1 million de barils de pétrole par jour provenant des sables bitumineux de l’Ouest canadien, pour ensuite l’exporter vers le Nouveau-Brunswick, via Cacouna. Chaque semaine, deux à trois superpétroliers viendraient chercher le pétrole brut. On les remplirait, non à quai, mais à 700 mètres du rivage grâce à des installations à double accostage et à chevalet unique.
Cette filière de Power Corporation prévoit aussi acquérir les installations portuaires de Cacouna, en vertu du Programme de cession des ports du gouvernement fédéral.
Les travaux de la pétrolière sont présentement suspendus, le temps qu’elle  obtienne le feu vert de l’Office national de l’énergie et d’une éventuelle étude du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Mais le ministère du Développement durable, de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques n’a pas encore confirmé quand auront lieu ces audiences.
Pollution sonore
En avril dernier, suite à un permis délivré par Pêches et Océans Canada, la pétrolière a cependant procédé, pendant quelques jours, à des levés sismiques par ondes sonores dans le secteur prévu pour son terminal maritime. Il s’agissait d’envoyer des jets de canons d’air comprimé  d’environ 230 décibels dans le fond de la mer.
Puisque le son se propage beaucoup plus facilement dans l’eau que dans l’air, on estime que le bruit d’un seul levé sismique peut couvrir plusieurs dizaines de milliers de km2, parfois jusqu’à
300?000 km2. (Coalition du Saint-Laurent, dans Pétrole dans le golfe Saint-Laurent : Faits, mythes et perspectives d’avenir, juin 2014)
Cette forme de pollution acoustique peut avoir des effets dévastateurs sur les mammifères marins qui dépendent entièrement du son pour communiquer, chercher des proies ou se déplacer. Elle peut entraîner la surdité, un affaiblissement de leur système immunitaire, des blessures et parfois même la mort.
Pouponnière pour bélugas
Cette zone au large de Cacouna demeure un habitat essentiel pour le béluga, une sorte de pouponnière où les femelles arrivent au mois de mai pour mettre bas en juillet ou août après une période de gestation de 14 mois et demi. Elles passent ensuite plusieurs semaines en compagnie des jeunes bélugas pour repartir dans une autre partie du fleuve, en octobre.
Non loin de Cacouna, dans l’aire protégée du Parc maritime Saguenay-Saint-Laurent – le seul parc marin au Québec?– une douzaine d’espèces de baleines viennent passer l’été à se nourrir dans les eaux froides du fleuve. On peut aussi y observer des phoques, des dauphins, des centaines de types d’oiseaux et de poissons.
Une seule goutte d’hydrocarbures peut contaminer jusqu’à 25 litres d’eau
Le biologiste Pierre Béland a fondé l’Institut d’écotoxicologie du Saint-Laurent à Rimouski. Il est aussi depuis plusieurs décennies un spécialiste du béluga. Nous lui avons demandé si le projet de TransCanada est dangereux pour les bélugas : « Oui, absolument. Il s’agit d’une aire où vont les femelles avec les petits. Ils seront donc dérangés et forcés de se déplacer vers des endroits moins favorables pour leur alimentation et leur repos. Les femelles et leurs veaux pourraient même se trouver séparés. Les bélugas ont l’ouïe très fine et peuvent être assourdis par des sons de forte intensité. L’activité d’un port et les déplacements des navires sont incompatibles avec l’habitat d’une espèce sauvage comme les bélugas. »
Le scientifique avance aussi que des fuites de pétrole de plus ou moins grande intensité demeurent inévitables. « Les forts courants sont changeants dans le secteur, les mouvements des marées, la présence de nombreuses îles et hauts-fonds, les glaces en hiver, concourent à rendre ce secteur hasardeux pour la navigation. Il faut donc s’attendre à au moins un échouage de pétrolier produisant une marée noire. Les statistiques mondiales l’indiquent clairement. Ce serait une catastrophe pour les bélugas, mais aussi pour les rives, les oiseaux marins, la faune, le littoral et toute la chaîne alimentaire. »
Jusque dans Les Basques
L’écotoxicologue et professeur à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski, Émilien Pelletier, explique pour sa part qu’en cas de déversement, le pétrole – porté par les vents – pourrait atteindre les battures de l’Isle Verte, tout la zone de Trois-Pistoles, l’Ile aux Basques et s’étendre jusqu’au Bic et Gaspé. (Les enjeux environnementaux du développement pétrolier au Québec, avril 2014)
M. Pelletier est aussi président du Comité de coordination du Parc marin, composé de représentants des milieux municipaux, touristiques, de scientifiques et de la communauté Innue d’Essipit. Dans une lettre adressée à des ministres du gouvernement fédéral et du Québec, et rendue publique le 10 juin dernier, il met en garde sur le fait qu’à raison de deux à trois navires par semaine, 12 mois par année, les effets sonores seront néfastes pour les bélugas. Il s’inquiète aussi du déversement de plus de 60 000 tonnes des eaux de ballast par navire. « Les risques d’introduction d’espèces étrangères, de polluants chimiques et de modification océanographique du milieu naturel sont évidents […] En hiver, il n’existe aucune méthode efficace de récupération du pétrole déversé à travers le monde ».
Il rappelle que l’industrie de l’observation des baleines sur les deux rives génère des retombées économiques de 200?M?$ et crée l’équivalent de 2?300 emplois à temps plein. Le Comité juge donc incompatible la présence de navires pétroliers avec ceux pour l’observation des mammifères marins.
Groupes environnementaux et
mobilisation citoyenne
Plusieurs groupes environnementaux, dont Greenpeace, Nature Québec, la Fondation David Suzuki, le Mouvement autochtone Idle No More Québec et Équiterre se sont mobilisés autour du projet de TransCanada. Des citoyens aussi lors de marches ou de manifestations.
Pour le Rimouskois Martin Poirier, cofondateur de Non à une marée noire dans le Saint-Laurent, chacune des étapes du projet d’oléoduc ou du terminal maritime va s’avérer néfaste, autant pour les bélugas que pour les écosystèmes. Que ce soit lors des levés sismiques, des travaux de forages ou d’éventuels déversements.
« Et puis qui voudra vivre près de cette zone industrielle ? Il s’en suivra inévitablement une dévaluation des maisons », nous dit-il en entrevue en réfutant l’affirmation de TransCanada qui assure que le projet créera des milliers d’emplois. « Durant la phase de la construction, on comptera moins de 125 emplois et ce, dans tout le Québec. »
Mais comment être contre ce projet, alors que nous sommes tous dépendants du pétrole ? « Le Québec consomme 300?000 barils par jour, explique Martin Poirier, alors que TransCanada en produira plus d’un million. Ce pétrole, en grande majorité, sera destiné au marché extérieur. Il provient des sables bitumineux de l’Ouest qui appartiennent à des intérêts étrangers et où présentement il y a une surproduction. »
Selon l’écologiste « il est inconcevable de penser qu’un port pétrolier puisse coexister avec les limites du parc marin » et croit que l’achat du port de Cacouna par TransCanada « serait un désastre »?: « Récemment, le député Jean D’Amour a déclaré que le gouvernement provincial envisage d’acheter le port de Rimouski. Pourquoi pas celui de Cacouna ? »
Des élus se prononcent
Interrogé à savoir s’il prenait position sur l’implantation de TransCanada à Cacouna, Jean-Pierre Rioux, maire de la Ville de Trois-Pistoles, nous a répondu?: « Non, nous n’avons pas pris position dans ce dossier. Ce qui manque surtout c’est la neutralité  d’un bord comme de l’autre. Nous souhaitons grandement que des scientifiques ou des groupes indépendants puissent proposer des rencontres citoyennes afin de nous informer des enjeux à partir de données scientifiques et neutres. La plupart des citoyens que je rencontre n’ont que des informations sur les prises de position des militants ou de TransCanada. D’un bord comme de l’autre, il y a des zones grises. Des organismes formés de scientifiques ou autres pourraient nous apporter un éclairage pour mieux nous positionner. »
Dans le Journal Nord-Côtier, Hugues Tremblay, maire de Tadoussac, a déclaré que « la réalisation d’un tel projet risque de mettre en péril non seulement certaines espèces marines, mais aussi l’ensemble de l’industrie d’observation des mammifères marins, élément phare de notre économie. Nous demandons aux autorités concernées de prendre un temps pour consulter les principaux intervenants tant sur la rive sud que sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent ».
Dans ce même journal, le préfet de la MRC de la Haute-Côte-Nord, Micheline Anctil, a souligné comment il était primordial « de préserver nos paysages naturels et toute l’industrie qui s’y rattache (….) Je demande à tous les intervenants économiques, de tous les secteurs de développement de La Haute-Côte-Nord, de se tenir la main et d’être solidaires dans nos revendications face au gouvernement canadien. Nous devons adopter une approche plus que prudente à l’égard de ce développement. Il n’y a aucune place à l’improvisation. »
Sylvain Tremblay, maire de Saint-Siméon et préfet de la MRC de Charlevoix, a déclaré dans le Devoir : « Pourquoi veut-on implanter ce port en plein milieu d’une région où on retrouve un parc marin et un produit touristique aussi stratégique que les baleines ? »
Finalement, Bertin Denis, préfet de la MRC des Basques exige, nous a-t-il indiqué, des audiences du BAPE : « Les ressources de la planète doivent être exploitées de façon durable. Depuis l’industrialisation, elles servent beaucoup trop à enrichir le grand capital au dépens de la planète et des générations à venir. TransCanada veut construire un gros tuyau qui va transporter une ressource qui enrichira des déjà trop riches sans se soucier des dégâts sur leur route. Quand un déversement arrivera, en plus de subir les dégâts, nous devrons payer pour les réparer. Parce que les dégâts arriveront, soyons en certain. Ils viendront par la mer lors de transbordements sur des bateaux appartenant à des compagnies enregistrées dans des pays sans conscience environnementale. »

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