(Alexandre D’Astous)-Aujourd’hui le stock de homard est en santé presque partout en Gaspésie. Cependant des indicateurs préoccupants selon l’avis du scientifique du RPPSG suggèrent que quelque chose ne va pas dans le fonds de la Baie des Chaleurs dans la zone 21B.
« De manière constante depuis 2008, nous voyons l’augmentation d’un ratio mâle-femelle préoccupant dans la zone de pêche 21B de la Baie des Chaleurs en très forte défaveur des femelles. En 2018, moins de 20% du stock de cette zone était constitué de femelles. La proportion du nombre de femelles est un facteur important pour déterminer la capacité de ce stock à soutenir un effort de pêche. La mise en place d’une seconde saison de pêche en Gaspésie en automne a un impact direct sur les stocks disponibles au printemps et pour les années suivantes », commente Jean Côté- scientifique au Regroupement des pêcheurs du Sud de la Gaspésie.
De l’avis même des scientifiques du MPO en 2009 et 2012, l’effort de pêche en zone 21B aurait dû être réduit afin qu’il reste sous les niveaux historiques et comme ils l’ont souligné en 2020, le « principe de base : pour des fins de conservation, éviter des changements qui sont susceptibles d’augmenter la pression de pêche». De l’avis même du MPO en 2019, la création d’une pêche commerciale d’automne ne peut qu’augmenter la pression sur les stocks.
Pêche d’automne pour le conseil de bande de Listuguj
Or, la ministre des Pêches et Océans vient d’autoriser pour la deuxième année consécutive une pêche commerciale d’automne pour le conseil de bande de Listuguj qui dispose de cinq permis de pêche et pêche aussi commercialement au printemps. D’autre part, le MPO vient d’augmenter l’effort de pêche au printemps dans la même zone à la demande d’une autre bande.
« Nous sommes consternés de constater encore une fois que le ministère des Pêches et Océans fait fi des mesures de conservation des stocks pour une pêche durable pour tous et de l’avis des scientifiques. Seule la pêche au homard de printemps est certifiée durable par le Marine Stewartship Council grâce aux efforts des pêcheurs commerciaux. La mise en place d’un ensemble de mesures qui avaient été acceptées par tous les pêcheurs dont Listuguj n’a jamais été appliquée dans les faits aux permis détenus par la Bande », déclare O’Neil Cloutier « En mettant au dernier plan la conservation dans sa prise de décision, le MPO n’applique pas le principe de précaution pour qu’il y ait une pêche durable pour tous et les générations à venir dans cette zone de pêche. »
Une approche collaborative
Le ministère des Pêches et Océans Canada souligne une approche « collaborative » entre la bande de Listuguj et le ministère suite à la mise en place d’un protocole non public de collaboration en matière d’application de la loi. Le MPO souligne un partage des rôles à savoir que les rangers de Listuguj qui n’ont aucune autorité sous la Loi sur les Pêches fédérale « vont appliquer tout ce qui découle de la loi sur le homard, qui est propre à la première nation, et les agents des pêches vont couvrir l’ensemble des autres infractions qui sont couvertes par la loi sur les pêches fédérale. »
Or, seul le parlement du Canada a le pouvoir exclusif de légiférer en matière de pêche. Aujourd’hui nous sommes devant le fait accompli où des lois différentes et des règles de gestion différentes s’appliquent selon l’appartenance ethnique d’un pêcheur. Le RPPSG s’étonne que les mesures de surveillance et de déclaration des captures ne soient pas les mêmes pour les pêcheurs commerciaux du printemps et les pêcheurs commerciaux de Listuguj en automne. Comment la ministre des Pêches et Océans et Listuguj peuvent par le biais d’un accord négocié et signé en secret enlever ce pouvoir exclusif au Parlement canadien de légiférer dans les pêches sans que personne ne soit au courant?
En septembre 2021, la Première Nation a déclaré qu’elle avait un droit de gouverner ses affaires sur ses terres et ses eaux notamment pour la prise de décision pour les pêcheurs de homard de la communauté. En 2022, la première Nation déclare que le « Canada commence enfin à reconnaître que la meilleure façon d’assurer la sécurité et la durabilité de nos pêches est de se retirer et de nous laisser gouverner. »
Perte de contrôle
Le ministère des Pêches et Océans a clairement perdu le contrôle des pêches et a du moins abandonné une partie de sa responsabilité exclusive d’assurer la gestion et la conservation des ressources pour de l’ensemble des Canadiens, qu’ils soient autochtones ou allochtones, alors que la ministre a le droit et le pouvoir d’encadrer l’exercice les droits de pêche autochtones pour des raisons de conservation et d’intérêt public comme cela a été reconnu par la Cour Suprême du Canada à plusieurs reprises.
Plusieurs études menées auprès des Canadiens démontrent clairement qu’ils ne souhaitent pas que les pêches soient gérées différemment selon que celles-ci sont pratiquées par les premières nations ou les allochtones et que la loi doit s’appliquer de la même manière pour tous.
Photo : Il y a visiblement une mésentente entre les pêcheurs de homards gaspésiens et ceux de Listuguj. (Photo Unsplash)