Crédit photo: Marc Beaulieu, agronome
(Marjolaine Jolicoeur/Journal L’Horizon) – Jean-Marie Lafrance de Notre-Dame-des-Neiges est passé de la culture de la pomme de terre à celle du chanvre. Pendant près de cinq ans, jusqu’à sa retraite et la vente de sa ferme en 2017, il produisait cette plante très versatile utilisée autant dans l’alimentation que dans les matériaux de construction.
« J’avais près de 65 acres de chanvre sur ma terre. C’est une plante qui pousse facilement mais pour la récolter c’est dur pour la machinerie car elle est très fibreuse et rigide. Elle peut s’enrouler facilement autour de l’équipement de la moissonneuse-batteuse ».
Sa production – biologique et conventionnelle – a bien réussi et le rendement était bon. Les plants, qui pouvaient atteindre jusqu’à 8 pieds de haut certaines années, produisaient l tonne de graines par hectare.
« Il y a quelques années, on donnait 4 000$ pour l tonne de graines, mais les prix ont baissé dramatiquement pour atteindre par la suite l 500$ la tonne », explique M. Lafrance.
L’agronome Marc Beaulieu confirme qu’il faut des pratiques culturales et des techniques de récoltes spéciales pour réussir le chanvre. Il a cosigné, en 2018, le Guide pour la production de chanvre en régie biologique et conventionnelle et prodigue son expertise via son entreprise ChanvreExpert.
« C’est une culture qui n’est pas pour les débutants. Elle demande beaucoup d’attention et d’expérimentation puisque cela ne fait qu’une vingtaine d’années qu’on cultive le chanvre au Québec. Cela exige une machinerie à toute épreuve pour la récolter ».
Il poursuit en indiquant que plusieurs producteurs du Bas-Saint-Laurent ont abandonné le chanvre suite à la diminution du prix de la graine « les acheteurs étant devenus très exigeants ».
Une usine à Notre-Dame-des-Neiges
Attenante à sa ferme, M. Lafrance possédait une petite usine de défibrage afin que la chèvenotte, la partie centrale et ligneuse de la tige, soit séparée mécaniquement de la partie périphérique du plant de chanvre. Sous forme de granulat, la chèvenotte est utilisée, par exemple, pour fabriquer du mortier de chanvre alors que la fibre intérieure est généralement destinée à la production de textiles.
Les graines pour leur part servent dans l’alimentation ou pour des cosmétiques. En fait, on estime que le chanvre peut entrer dans la composition de 50 000 produits de tous genres!
C’est un spécialiste de l’écoconstruction, Sébastien Bélac, qui s’occupait de la transformation à l’usine de Notre-Dame-des-Neiges. Ce dernier a créé, à Rimouski en 2006, la compagnie Matériaux Écologiques pour la Maison Inc. (M.E.M.) où professionnels ou particuliers peuvent acheter laine isolante, feutres acoustiques et divers produits dérivés du chanvre.
« Le chanvre est une plante robuste et écologique qui ne nécessite pas de pesticides et peu d’eau. À titre de matériau de construction, le chanvre a une bonne isolation thermique. Il possède une résistance naturelle aux insectes et aux rongeurs tout en étant d’une grande durabilité. En gérant l’humidité du bâtiment, il permet de réduire les coûts de climatisation et de chauffage ».
Des maisons écologiques
Après avoir travaillé plusieurs années avec M. Lafrance, Sébastien Bélac n’a pu finaliser son projet d’usine : « J’aurais aimé qu’elle puisse continuer d’exister à Notre-Dame-des-Neiges. Mais je n’ai reçu aucun appui de la part des organismes de développement économique de la région pour la financer.»
Un peu beaucoup amer face à cette situation il s’est alors associé à d’autres partenaires financiers afin d’installer l’usine dans la ville d’Asbestos. Du nom de Nature Fibres, l’entreprise de production industrielle d’écomatériaux a comme premier actionnaire le groupe coopératif Vivaco dont des membres agriculteurs cultivent du chanvre.
L’entreprise a aussi reçu de la MRC des Sources, via son Fonds de diversification économique, 1,1M$ ainsi qu’un prêt et une subvention totalisant 60 000$. Cela a permis la création de 8 emplois, dont le nombre devrait doubler dans le futur.
Nature Fibres produit isolants, feutres, panneaux acoustiques, blocs de maçonnerie et enduits muraux à base de chanvre. « C’est la seule entreprise du genre en Amérique du Nord. Une université de New-York est récemment venue visiter l’usine pour étudier notre expertise », lance non sans fierté Sébastien Bélac en ajoutant que l’écoconstruction avec des matériaux en fibres végétales connaît un engouement sans précédent et une forte croissance.
La santé par le chanvre
N’ayez crainte : vous ne verrez pas d’éléphants roses se promener sur la rue Jean-Rioux à Trois-Pistoles en consommant du chanvre. Même si la plante ressemble à celle du cannabis, odeur comprise, elle contient un taux négligeable de l’agent psychotrope THC, soit moins de 0,3%.
Les enfants tout comme les animaux peuvent bénéficier des propriétés remarquables du chanvre dans l’alimentation ou dans des produits de soins cosmétiques.
Les graines (chènevis) de chanvre contiennent les 9 acides aminés essentiels, sont riches en minéraux –fer, magnésium, zinc –, en vitamines B, D et E ainsi qu’en protéines. L’huile tirée des graines présente des omégas-3 et des omégas-6 dans un ratio parfaitement équilibré soit 1 :3. Elle connaît une grande popularité dans le secteur des cosmétiques naturels : crèmes, savons ou lotions pour le corps. (Source : La graine de chanvre biologique : Un Guide de production pour l’Est-du Québec rédigé par Marc Beaulieu et Frédérique Doucet)
Chez l’humain l’huile de chanvre hydrate la peau, réduit l’inflammation et peut soulager la dermatite, l’eczéma ou le psoriasis. Pour le chien ou le chat, elle favorise un beau pelage lustré et aide à réduire la chute de poil lorsqu’elle est intégrée dans leur alimentation. En cuisine, elle doit se consommer crue et ne pas être chauffée.
Les graines de chanvre s’ajoutent à nos salades, soupes, céréales ou smoothies. Afin de garder ses propriétés nutritives, elles doivent être conservées au frais et à l’abri de la lumière. Elles peuvent aussi se boire sous forme de lait de chanvre. La farine de chanvre est sans gluten et on peut en faire des crêpes ou des biscuits.
Sans gluten et biologique
Le marché du sans gluten mais aussi du biologique est en pleine croissance, comme le démontre le parcours de la Minoterie des Anciens qui s’est donnée pour mission de remettre en valeur les terres agricoles de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent. Située à Sainte-Anne-des-Monts, cette compagnie produit une variété de produits biologiques et sans gluten à base de chanvre mais aussi de sarrasin et de légumineuses sous la marque « Pure Gaspésie ».
Leur « riz de la Gaspésie » est fait d’avoine nue; il se prépare comme le riz, en salade ou dans une soupe. Il y a deux ans, la Minoterie des anciens s’est doté d’un équipement spécialisée dans l’extraction d’huile de chanvre. Elle produit aussi une farine de chanvre qui s’incorpore généralement dans un ratio de 20% à 30% en complément d’une autre farine.